I- Naissance d'une contre-culture

1) Les racines Beatniks

La beat generation est le nom d'un mouvement littéraire et culturel qui prit place durant les années 1950 et 1960. La beat generation était également le principal mouvement précurseur de la contre-culture hippie. Le mot « beat » en américain peut signifier à la fois « battu » ou « vaincu ». Les individus appartenant à ce mouvement étaient nommés par le terme « beatnik ». Jack Kerouac, fondateur de l'expression « Beat Generation », affirma que « beat » évoquait le rythme du jazz et était une autre manière de dire « béatitude ». Les beatniks se considéraient, eux-mêmes, comme la génération de la révolte ou la génération du tempo. Composé de jeunes, d'écrivains tels que Jack Kerouac ou encore Alen Ginsberg et d'artistes, ce mouvement défendait, tout comme les hippies quelques années plus tard, des valeurs anticonformistes. 
Alen Ginsberg
Jack Kerouac
Ils éprouvaient un rejet de « l'American Way of Life », comme l'exprimait Jack Kerouac dans une citation. Cette citation montrait son refus de la société de l'époque : « la folie absolue est une fantastique horreur de New York avec ses millions et ses millions d’êtres humains qui se battent indéfiniment entre eux pour un dollar ». Les beatniks étaient ainsi en marge de la société. 


La beat Generation



L'American Way of Life dans les années 1950



Par ailleurs, les drogues étaient très importantes dans ce mouvement. Selon les beatniks, elles permettaient de libérer l'âme et l'esprit. Elles représentaient ainsi un prolongement dans leur quête de liberté, tout comme les hippies qui les suivirent plus tard. D'une part, la beat generation cherchait à combattre ce qu'était devenu son pays, les États-Unis, un pays capitaliste où la consommation était reine. Cependant, d'un autre côté, la beat generation souhaitait revenir aux sources de la création des Etats-Unis  avec cet esprit de liberté. Elle voulait également redécouvrir son territoire comme le prouve cet extrait d'une poésie d'un poète Beatnik, Ferlinghetti :

« Et j'attends que quelqu'un
découvre vraiment l'Amérique
et pleure…
et j'attends
que l'Aigle américain
déploie vraiment ses ailes
et se dresse et s'envole… »

Les beatniks étaient tout autant habités que les hippies par cette envie de voyage. Les écrivains et poètes de la beat generation avec en chef de file Jack Kerouac partaient souvent en « road trip » (en voyage sur les routes) pour explorer les Etats Unis. Ils couchaient à la belle étoile et vivaient au jour le jour. Jack Kerouac fut l'un des plus grands auteurs de la beat generation. Il véhiculait leurs principes à travers ses œuvres comme l'un de ses plus importants romans Sur la route publié en 1957.


Ils aimaient les paysages de l'Amérique mais méprisaient son peuple qui, selon eux, avait oublié sa liberté, la délaissant au profit de l'argent et du confort. La beat generation avait donc de nombreuses valeurs et normes communes à la contre-culture hippie tout comme l’antimilitarisme.
Par ailleurs, les beatniks vouaient un culte aux divinités bouddhistes et s'inspiraient donc à la fois de la culture occidentale et de la culture orientale. Ils étaient aussi rejetés par les membres de la société conformiste américaine qui les considéraient comme négligés et sales tout comme les hippies furent considérés. Les poètes de la beat generation étaient devenus rapidement riches et célèbres ce qui fit évoluer le mouvement pour donner quelques années plus tard les hippies. Le mouvement beatnik ne parvint pas jusqu'en Europe contrairement au mouvement hippie. Les hippies s'inspirèrent donc des beatniks à la différence près que les beatniks étaient plutôt intellectuels et aventuriers. En outre, les beatniks n'étaient pas aussi communautaristes que les hippies. Enfin, ils militaient contre la pauvreté et la misère.

« C'est plus moral - et plus agréable - d'avoir sa main dans la braguette que le doigt sur la gâchette »                                                                        
                                                                                                              Lawrence Lipton, poète beatnik 


2) La guerre du Vietnam


Les hippies étaient connus pour leur engagement contre le racisme, les discriminations homme/femme, et pour défendre toute sorte de liberté. Cependant, la guerre du Vietnam eut un impact encore plus puissant sur cette communauté que toutes les autres causes listées précédemment. La guerre du Vietnam (ou Viêt Nam) débuta en 1955 et se termina en 1975. Cette guerre opposait le Nord du Vietnam, qui était un régime communiste soutenu par l'URSS et la Chine, notamment appelé la « République démocratique du Viêt Nam » (RDVN), au Sud du pays et plus précisément à la « République du Viêt Nam » (RVN), qui elle était un régime nationaliste soutenu par les États-Unis. Ce combat est intervenu dans le contexte de la guerre froide : période de tensions entre les Etats-Unis et l'URSS. Les Etats-Unis luttaient, en effet, contre l'expansion du communisme. Cependant, il n'y eut d'affrontement direct entre les Etats-Unis et l'URSS. Ainsi, pour éviter le basculement du Vietnam vers le communisme, les Etats-Unis intervinrent militairement dans ce pays. Pendant les premières années, la guerre du Vietnam était surtout une guerre civile opposant l'armée du Sud Viêt Nam aux troupes du FNL également appelées péjorativement Viêt Cong. Cette guerre était sanglante et faisait preuve d'une extrême violence. Elle causa la mort de plus de 4 millions de civils au Nord du Viêt Nam, environ 430 000 civils Sud-vietnamiens et plus de 55 000 soldats américains furent tués. Les hippies qui étaient pacifistes, prônaient la liberté d'expression et pensaient que les mots avaient un plus grand impact que la violence. Ils étaient plus qu'hostiles à cette guerre, qui était selon eux totalement dénuée de sens. Certains la qualifiait même de « sale ». La photographie ci-dessous montre bien l'injustice de cette guerre, puisqu'elle touchait aussi bien les militaires engagés que les populations qui n'avaient pas à être impliquées dans ce conflit.

célèbre photographie de Nick Ut, représentant une petite fille de 9 ans grièvement brûlée au napalm courant nue sur la route de Trang Bang, 1972

Les hippies se sentaient impuissants face à cette guerre. Ils décidèrent tout de même de manifester afin de montrer leur désaccord envers ce qu'il se passait au Vietnam. Ils organisaient de nombreuses marches, des sit-in. Un mouvement de grève se mit en place, ainsi que de grandes manifestations silencieuses dans les rues des villes ou devant des bâtiments officiels. De tous ces regroupements, nous retiendrons la manifestation qui dura 3 jours, du 1er au 3 mai 1971, où plus de 500 000 personnes se réunirent à Washington. Les individus présents à cette réunion prônaient la paix et scandaient de nombreux slogans simples mais néanmoins poignants : « make love, not war » ou encore « peace and love ». Ces deux expressions s'accompagnaient généralement par un signe de paix qui était formé par l'index et le majeur.


Photographie de la célèbre manifestation du 3 mai 1971, à Washington



Cette manifestation fut représentée dans de nombreux films, notamment le célèbre  Forrest Gump, réalisé par Robert Zemeckis. Tom Hanks ayant le rôle principal y joue un jeune vétéran engagé dans la guerre du Vietnam, retournant aux États-Unis à la fin de son service militaire. Les hippies étaient aussi répugnés par le fait que l'Etat américain envoyait au Vietnam, par le biais du service militaire obligatoire, de jeunes citoyens qui n'étaient pour la plupart que de simples adolescents. Toutefois, les hippies n'étaient pas les seuls contre cette obligation. Ainsi, le célèbre boxeur Cassius Clay, plus connu sous le nom de Mohammed Ali, dut arrêter sa carrière de boxeur à cause de son service militaire obligatoire. Il changea par la suite de nom et de prénom pour montrer sa désapprobation envers l'impérialisme américain.
Le mouvement anti-guerre était tellement fort et puissant, qu'il ne relâcha pas la pression jusqu'en 1975.  En effet, le dernier hélicoptère américain s'envola du toit de l'ambassade des États-Unis en direction de Saigon, ville du Vietnam, aujourd'hui appelée Hô-Chi-Minh-Ville. Par la suite, les mouvements de protestations prirent une toute autre forme. En effet, des citoyens appartenant à des associations religieuses adressaient des lettres aux élus du Congrès et à de hauts responsables. Des pétitions circulaient et récoltaient une quantité phénoménale de signatures. Par ailleurs, les actes de désobéissances civiles se multiplièrent. Certains opposants à la guerre et donc au système américain refusèrent de payer leurs impôts et d'autres jeunes gens allaient même jusqu'à se suicider en public en signe de révolte à la guerre du Vietnam. Mais, ce dernier acte était tout de même assez rare. Tout ceci se terminait généralement par des arrestations en masse voire des morts et blessés ainsi que l'utilisation de gaz lacrymogènes par les forces de l'ordre. Aux Etats-Unis, après tous ces événements, certains allèrent jusqu'à parler de révolution.


3) Le rejet de la société de consommation


Juste après la fin de la 2nde Guerre Mondiale, apparut aux Etats-Unis et dans quelques pays d'Europe, le « baby boom », une augmentation importante du taux de natalité. Les « baby boomers » ou tout simplement « boomers » étaient les enfants nés durant cette période. Il y eut une fragmentation de la société d'après-guerre. Elle vola en éclat et provoqua la création de plusieurs communautés. Les hippies étaient issus de cette génération. Nés dans les années 1950, ils rejetaient la société de consommation de leurs parents qu'ils trouvaient abrutissante et dégradante. Cette société de consommation était née de la période des Trente Glorieuses. En effet, entre 1945 et 1973, la majorité des pays développés connurent une période de forte croissance économique. L'enrichissement de ces pays permit une hausse du niveau de vie. Ainsi, les ménages purent s'équiper de produits qui amélioraient leur confort. Par ailleurs, l'amélioration des conditions de vie favorisa également les naissances, ce qui pouvait expliquer l'apparition du « baby boom ».
Les hippies causèrent volontairement une rupture avec le modèle dominant, vanté partout et spécifiquement aux États-Unis. Ils rejetaient et ne croyaient plus en l' « American dream » et en l' « American way of life ». Les hippies faisaient partie d'une génération frustrée par le mode de vie de leurs parents, un mode de vie jugé trop calme, trop plat, trop coincé selon eux : ce qui provoqua la rébellion. En effet, ces jeunes gens contestaient et refusaient non seulement l'autorité établie par leurs parents mais également l'ordre établi par le gouvernement américain. Ils ne voulaient appartenir à aucun parti politique, c'est pourquoi leur mouvement avait des tendances anarchistes. Néanmoins, le mouvement hippie s'étendit jusqu'en Europe et plus particulièrement en Angleterre, car ces « marginaux » voulurent ébranler la hiérarchie sociale rigide de la Grande-Bretagne même si ce système tient encore de nos jours. La société de consommation de la génération précédente également appelée société capitalistique dérangeait le plus les hippies. Ils refusaient d'adhérer à cette société trop contemporaine qui les poussaient à acheter. 



sculpture réalisée par Duane Hanson, intitulée « Supermarket Lady » représentant une femme de classe moyenne américaine avec un caddie rempli surtout de choses superficielles, créée en 1969-1970


 
 
Certaines communautés décidèrent donc d'accéder à une complète autosuffisance. D'autres vivaient de la vente de produits ou d'offres de services. Ils n'achetaient plus ce que l'on pouvait trouver dans les grandes surfaces, ils fabriquaient eux-mêmes leurs chaussures et préconisaient l'alimentation bio. Ils voulaient non seulement se détacher de la société courante mais également bâtir un monde qui n'appartenait qu'à eux. Ils ne se souciaient pas d'être en marge de la société car c'est justement ce qu'ils recherchaient. Quand cette génération de « boomers » eut l'âge d'avoir des enfants à son tour, elle favorisa la pédagogie anti-autoritaire. Les hippies cherchaient à établir d'autres rapports avec leurs propres enfants. Certaines communautés créèrent  leur propre système scolaire, appelé « école sauvage » ou « école parallèle ».